Au petit matin, enfant, je découvre un toutou sur la table de la cuisine. C’est un ookpik, une sorte de hibou fabriqué à la main avec une peau de phoque. Mon père l’avait déposé là, au beau milieu de la nuit, sans rien dire, au retour d’un de ses voyages dans le Nord. À quoi rêve ce ookpik avec son intense regard jaune ? Comment savoir tout le chemin qu’il a parcouru pour se retrouver dans les bras d’un petit Blanc du Sud qui ne sait presque rien des Premières Nations, des Inuit, des Métis et de leurs territoires ? J’ai grandi en serrant le ookpik contre moi sans chercher à savoir d’où il venait, à l’image de la nation québécoise qui n’avait pas mesuré jusqu’ici l’ampleur du refoulement des peuples et des cultures autochtones, pourtant si près, vivant juste à côté, mais condamnés au lointain, au silence, au déni. J’ai écrit cette méditation écologique en pleine remise en question de ma mémoire personnelle et collective, de notre relation toxique au territoire. Je marche en écrivant sur la forêt, sur l’art, sur l’autre, sur l’amour. J’ouvre grand les bras à la manière du ookpik qui déplie soudain ses ailes afin de retrouver le Nord qui l’attend depuis toujours..